L’EVOLUTION DU DROIT COMMERCIAL
Si le code de commerce de 1959 (§ 2) constitue une étape
importante dans l’évolution du droit commercial dans notre pays, ni l’histoire
de ce droit avant le code ( §1) ni l’évolution marquée par les lois
postérieures à ce code (§ 3) ne sont d’une moindre importance.
§ 1- Histoire du droit commercial avant le code de
commerce de 1959
L'étude
historique a pour objectif , moins l'inventaire des différentes étapes que le
droit commercial a connues que l'enseignement qui doit en être tiré pour
comprendre et parfaire les institutions actuelles.
La doctrine
contemporaine enseigne que les droits de la très haute antiquité ont connu et
réglementé différentes opérations et institutions commerciales. C'est ainsi
qu'on rapporte que les babyloniens ont connu le prêt à intérêt, la société, le
dépôt d'espèces et de marchandises. Les phéniciens auraient, pour leur part,
inventé la technique de l'avarie commune. Aux grecs, on doit le prêt à la
"grosse aventure". Les romains auraient mis au point la représentation
et réglementé les opérations de banque et la comptabilité en partie double.
Mais l'apport de l'antiquité au droit commercial est jugé plutôt limité en ce
sens que les mécanismes propres à ce droit n'ont pas été découverts pendant
cette période.
L'origine des principales institutions commerciales
modernes serait à chercher dans le moyen-âge. Le berceau du développement de
l'activité commerciale étaient les villes italiennes du nord : Gênes, Venise et
Florence, points de passage obligés pour les relations avec l'Orient.
Paradoxalement, les ouvrages modernes passent sous silence l'apport de ce monde
au droit commercial. On néglige plus particulièrement la contribution du droit
musulman au développement du droit commercial. Pourtant la position géographique
privilégiée du Monde Arabe entre l'Europe, l'Inde, la Chine et l'Afrique de
l'Est en a fait un centre du commerce international. L'Islam a, de son côté,
favorisé l'essor du commerce en consacrant le principe de la liberté de la
preuve.
Les conquêtes musulmanes, les découvertes scientifiques (invention de la
boussole et de l'astrolabe) et la
maîtrise des techniques de l'industrie maritime furent de nature à renforcer
les relations commerciales du Monde Arabe avec ses partenaires. Des techniques
nouvelles telles que la lettre de change ou le chèque ont fait leur apparition. A l'heure actuelle
les droits modernes continuent d'utiliser des concepts développés par les
arabes : avarie, câble, magasin, tarif etc..
Qu'il soit
vu de l'orient ou de l'occident, le moyen âge fut marqué par la naissance d'une
véritable branche du droit spécifique aux professionnels et aux opérations de
commerce. La pratique des foires entraîna la naissance de la procédure de la
faillite dont la finalité était de sanctionner les commerçants mauvais payeurs.
Avec les corporations des marchands se développa un droit propre ; une lex
mercatoria et un justice spécifique, les juridictions consulaires.
L'histoire
mouvementée de la Tunisie du fait des multiples conquêtes dont elle a fait
l'objet est à l'origine de la précarité de ses institutions. Avec la conquête musulmane commença le règne du
Droit musulman. Malgré le fait qu'il ait été à l'origine de différents concepts
du droit commercial ce système ignorait
la distinction entre droit civil et droit commercial. Les fuqahas
traitaient les questions actuellement qualifiées de droit commercial en même
temps qu'ils traitaient les problèmes de droit civil. Ibn Abidine, par exemple,
(auteur hanafite qui a inspiré, entre autres, les rédacteurs du code des
obligations et des contrats) analysait la lettre de change tantôt comme une
forme de prêt, tantôt comme une cession de créance.
Malgré le statut de régence ottomane de la Tunisie, on
notera que le règne ottoman ne s'est pas
suivi de l'application de la législation nouvelle en Tunisie. Le Code de
commerce ottoman pas plus que la Medjella n'ont jamais été appliqués
dans notre pays.
Le Pacte
fondamental devait apporter des modifications profondes au système en vigueur.
Garantissant la liberté du commerce et de l'industrie, (articles 9 et 10) le
Pacte se proposait de créer des tribunaux "composés d'hommes éminents
pour connaître des différends que peut engendrer le commerce, cette source de
prospérité des Etats...". L'article VII du Pacte prévoyait la
composition de ces tribunaux mais en différait l'entrée en fonctions jusqu'à
l'établissement d'un accord avec "les puissances amies". La
constitution du 25 avril 1861 reprit
dans ses articles 23 et 25 la même idée (création de tribunaux de commerce) et
d'un tribunal de révision de ses décisions (art. 24). L'élaboration d'un projet
de code de commerce fut confiée à une commission désignée par Assadiq Bey en
exécution des principes du pacte fondamental. Un projet de code de commerce fut élaboré en janvier 1864
.Mais le code tunisien de commerce n'a
jamais vu le jour; le Bey ayant décidé le 19 avril 1864 de suspendre le pacte
fondamental et il fallait attendre les innovations que le Protectorat devait
apporter.
En septembre 1896 fut constituée un
commission chargée de codifier la législation civile commerciale et pénale de
la Tunisie. Un projet préliminaire de code
civil et commercial fut établi en 1897. La sous-commission de
codification qui examina ce projet confia à David Santillana le soin d'établir
un avant-projet destiné à servir de base aux délibérations d'une commission
spéciale plus étendue. L'avant-projet fut adopté en 1899. Mais il fallait attendre 1906 pour voir apparaître non pas un
code civil et commercial mais simplement
l'actuel code des obligations et des
contrats. L'abandon de l'idée d'une codification commune au droit civil et au
droit commercial ne fut jamais expliqué. Pendant longtemps, les tribunaux
tunisiens devaient affronter le vide législatif en matière commerciale. Les
dispositions du code des obligations et des contrats qui s'y rapportent (V.
p. ex. les articles 461 et s. C.O.C. sur les livres des marchands les art. 1249
et s. sous l'intitulé "De la société contractuelle, Dispositions générales
aux sociétés civiles et commerciales".) ne suffisaient pas pour
résoudre toutes les difficultés. C'est ainsi, par exemple, qu'on s'interrogeait
sur le possibilité de créer une société anonyme en Tunisie en vertu d'une loi
étrangère sachant que le droit tunisien ne prévoyait pas ce type de
société.
Ce
n'est qu'en 1926 qu'apparurent les premières réformes. Le décret de 16 juillet
1926 institua le registre du commerce. Le décret du 28 février 1930
introduisait la législation française sur la société par actions, le décret de
5 mai 1930 celle des sociétés à responsabilité limitée etc. Ainsi, par des
textes épars, le législateur tunisien ne faisait que rendre applicable en
Tunisie le droit commercial français sans qu'aucune tentative de codification
d'ensemble n'ait été entreprise.
Avec
l'indépendance et pendant quelques années, les juges tunisiens devaient en
vertu de la convention judiciaire franco-tunisienne du 9 mai 1957 appliquer les
textes français en vigueur à la date de l'entrée en application de cette
convention toutes les fois que les
textes tunisiens ne prévoyaient pas de solution . Pendant ce temps, le
ministre de l'économie nationale a désigné une commission chargée d'élaborer un
projet de code de commerce et de code maritime. En 1957 cette commission a
achevé d'élaborer un premier projet de code de commerce. Les rédacteurs du
projet s'étaient inspirés du droit
français, des conventions internationales, des droits marocain et levantins.
Ce projet n'a , cependant, jamais vu le jour. Une seconde commission chargée de
préparer un autre projet s'en est largement inspirée dans l'élaboration de ce
qui n'est autre que l'actuel code de commerce du 5 octobre 1959.
§.2- LE CODE DE COMMERCE DE 1959
Le code de
1959 était à l'origine composé de 746 articles regroupés en cinq livres.
Régissant respectivement le commerce en général (livre I), le fonds de commerce
(livre II), la lettre de change, le billet à ordre et le chèque (livre III), la
faillite (livre IV) et, enfin, les contrats commerciaux (livre V). Le plan du
code, on le voit bien, n'obéit pas à une ligne directrice claire. Ce qui est de
nature à confirmer l'assertion selon laquelle "un code de commerce ne
peut pas avoir un plan rationnel. Il n'est jamais qu'une réunion de lois
particulières faite dans un ordre quelconque". RIPERT et ROBLOT par
GERMAIN, op. cit., 1° , 41, p. 21....)
Les
rédacteurs du code insistent sur le caractère incomplet de leur œuvre ( Exposé des motifs
du code de commerce in code de commerce, lois usuelles et codes tunisiens, collection Mahmoud BEN
CHEIKH, Tunis 1975, pp. 1 et s., spéc. p. 1 et 4).. En même temps ils en reconnaissent
le pragmatisme. « L'essentiel, disent-ils, est d'avoir une loi à
appliquer quelle que soit sa source » . A cet effet, les considérations d'ordre
historique ont fait que le droit commercial français ait eu sur les rédacteurs
du code de commerce une influence décisive. Il n'a certainement pas été leur unique source d'inspiration. Le
droit libanais à inspiré les solutions
relatives à la théorie générale des sociétés et au concordat préventif
(aujourd'hui abrogé) . Le droit allemand est à l'origine de la réglementation des sociétés à
responsabilité limitée. Le droit international privé a, pour sa part, largement
inspiré la réglementation de la lettre de change du billet à ordre et du
chèque.
Faisant
partie des premières codifications de l'indépendance, le code de commerce n'est
paradoxalement doté d'aucun prestige. Il n'a ni l'hardiesse du code du statut
personnel ni la clarté du code des droits réels et encore moins l'originalité
de code des obligations et des contrats pourtant oeuvre coloniale par essence.
Celui-ci n'est certainement pas un chef-d'œuvre en matière de codification.
Mais par le richesse et la diversité de ses sources, la tendance avant-gardiste
de quelques unes de ses solutions, il se présente comme une oeuvre
techniquement et fondamentalement supérieure au code de commerce aux textes
parfois excessivement longs et surchargés de détails techniques, ce qui ne va
pas sans entraver l'œuvre créatrice de
la jurisprudence. Une telle situation
rend inévitable le recours à d’autres lois pour compléter le code ou pour régir
des situations particulières.
§. 3 - LES LOIS POSTERIEURES AU CODE DE COMMERCE DE
1959
Depuis sa promulgation le code de
commerce a fait l'objet de plusieurs modifications. On notera à titre d'exemple
la loi n° 62-63 du 2 juillet 1962 ayant
modifié le chapitre IV de titre III du livre I sur les sociétés à
responsabilité limitée et le chapitre VII relatif à la publicité des sociétés
commerciales, les différentes réformes de la législation sur le chèque, la loi sur les sociétés d'investissement à
capital variable. Mais quelque multiples qu'elles aient pu être, ces
différentes réformes avaient pour effet moins de remettre en cause le code que
de le consolider. Son application par les tribunaux n'a pas provoqué de grands
remous. Il a passé avec succès les premières années de l'indépendance et
résisté à l'expérience des collectivisations. Mais à mesure que le pays
s'industrialise et que les frontières s'ouvrent aux relations internationales,
les défaillances du code étaient devenues de plus en plus visibles. Le vent des
dernières réformes semble l'avoir déstabilisé. L'une des plus importantes est
incontestablement celle qui résulte des lois du 17 avril 1995. D'une part la
loi n° 95-35 qui a abrogé les articles
413 à 444 du code sur le concordat préventif et modifié certaines dispositions
sur la faillite. D'autre part la loi n° loi n°95-34 a instauré la procédure du redressement des entreprises
en difficultés économiques. Mais le code des sociétés commerciales promulgué
par la loi n°93-2000 du 3 novembre 2000 est incontestablement le texte le plus
important en volume et en substance qui ait ôté au code de commerce une grande
partie de son rayonnement. Avec plus de 450 articles (au moment de sa
promulgation) réservés aux sociétés une partie importante des dispositions
du code de commerce a disparu. Et si on sait que les baux commerciaux sont
régis par un texte spécial, que le droit
des assurances est régi par le code de 1992, que les textes spéciaux organisent
la concurrence, les ventes commerciales,
les établissements de crédit, le commerce extérieur, on peut
légitimement s'interroger que reste-t-il du code de commerce ? Peu de choses en
réalité. Mais ce qui intéresse le plus c'est d'avoir un corps de règles adapté
à l'évolution et aux besoins de la vie économique. C'est en cela que la
diversité des sources du droit commercial acquiert toute son utilité.
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